Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda


Palme d’or au Festival de Cannes 2018


Une affaire de famille du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda est un film élégant. La première image du film est floue. Il s’agit d’un magasin sans profondeur de champ, lieu des larcins d’un duo bien rodé à la manœuvre pour traquer les angles morts où les employés pourraient surprendre leur méfait. 

Habile jeu de regards qui instaure le point de vue du réalisateur. Filmer en diagonales pour ne pas prendre en pleine face une réalité sans perspective. Fuir les évidences d’une vision frontale et prendre la tangente pour capter les laissés pour compte de la société. Le réalisateur n’hésite pas à forcer le trait. L’homme utilise l’enfant pour voler la nourriture quotidienne mais s’acquitte des 450 yens que réclame la vendeuse de rue pour les croquettes qui attisent leur gourmandise. Tout est dit. On ne vole que ce qui ne met pas en péril l’équilibre des autres. Il y a chez ces voleurs une part d’innocence qui rétablit la justice. 

Une petite fille laissée seule sur le seuil de sa maison est recueillie dans le foyer familial. L’enfant est filmée dans l’interstice de deux plaques qui restreignent son espace. Comme un oiseau pris au piège, le réalisateur montre la cage de béton où l’enfant est livrée à elle-même. La caméra s’immisce dans une faille pour ne pas l’effaroucher. Le réalisateur filme serré autant pour montrer la privation, la promiscuité que l’intimité qui s’y crée aussi. 

La maison traditionnelle où tous ont trouvé refuge est une enclave qui résiste à l’urbanisme moderne du quartier. Qu’est-ce que cette arche où cette famille a échoué ? Chacun compte sur l’autre et y fait ses comptes : un voleur vieillissant, un garçonnet qui ausculte ses billes comme des pierres précieuses, une femme mûre entre deux âges, une call-girl romantique et une grand-mère à la langue bien pendue. Dans l’exiguïté de la maison où le moindre espace de libre tient dans un mouchoir de poche, la petite Juri se tient à l’écart. La famille mange à grands bruits des boulettes végétales chapardées dans la journée. Pas de manières. Une œillade de côté et la petite rejoint le clan pour partager le repas. Tout commence par le ventre. La nourriture est bien moins un moment de convivialité qu’une façon ici de combler le vide immense que laisse la solitude. 

Tout le film tient à ce numéro d’équilibriste où on dévoile pas à pas les liens qui se sont créés entre les membres de cette famille recomposée vivant aux basques d’une grand-mère pas si vulnérable qu’elle y parait. Scène mémorable de la vieille suçant comme un vampire la chair d’une orange devant un agent immobilier venu lui extorquer sa maison. 

Ici la famille où on n’est pas né s’invente. Tout le monde se tient à l’autre. Magnifique plan cadré en diagonale où la caméra filme en plongée les têtes tendues vers un feu d’artifices qu’on ne voit pas. Une tête se rajoute à l’autre comme une farandole de lampions qui scintille dans la nuit et c’est toute la fête qui s’invite parmi nous. Une chute fait éclater la vérité en dévoilant la véritable identité de chacun. 

La caméra posée sur la table filme de façon rasante le gros grain du bleu étalé au pastel gras sur une feuille de papier. La vérité n’est jamais aussi intense que lorsqu’elle est représentée. Voilà toute la subtilité de ce film. Sur un coin de table des nouilles tombées de leur bol pendent et gouttent au bruit de la pluie qui s’abat dehors. Ce qu’on voit à l’écran n’est qu’une toute petite partie de ce qu’on ne sait pas. 

Toute la délicatesse tient dans ce hors champ que le réalisateur instille par touches délicates dans la vie de ces personnages. On est bien loin des Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. Chacun a enfoui son secret pour ne pas gêner les autres. Admirable plan où le départ du bus laisse le père sur le côté et le fils adoptif seul face à sa destinée. Magie du  cinéma que de montrer la tendresse quand elle ne tient qu’à un film.

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