Les Estivants de Valeria Bruni Tedeschi
Commencer une histoire en se faisant larguer par son mec le
jour du divorce de son ex demande une certaine forme d’abnégation. Si on
rajoute un avocat qui vous rappelle que la situation implique une tête
d’enterrement et une sobriété de rigueur, on se met à douter de notre capacité
de spectateur à pouvoir discerner le vrai du faux. Qui plus est, être
réalisatrice et s’effondrer devant le jury du CNC chargé de vous accorder les
fonds nécessaires et vous aurez toutes les cartes en mains pour ne plus savoir
si le film auquel vous pensiez pourtant assister aura un jour les moyens
d’exister.
Valeria Bruni Tedeschi est dans son film Les Estivants un florilège de toutes ces contradictions. Mère
et fille aussi, une voix implorante qui se transforme en fou rire, une prière
dite sur le ton de la colère, Anna femme amoureuse et furie qui fait voler en
éclats les convenances, tout ça en mieux et en pire à la fois. Son dernier film
ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà sur elle – actrice-
réalisatrice- italienne- issue d’une famille fortunée et pourtant il nous
emmène toujours plus loin dans l’analyse de la comédie humaine.
L’été est là aux portes de la maison familiale qu’on laisse
ouvertes pour faire circuler l’air et les gens dedans. Magnifique demeure de bord
de mer que la pragmatique Yolande Moreau qui campe Jacqueline, employée de
maison toujours essoufflée, décrit comme un enfer derrière le paradis. Car tout
le monde triche ici. D’abord avec soi
dans ce monde où on nait riche ou pauvre, où on est patron crapuleux ou employé
exploité. Personne n’est dupe et chacun joue son rôle en respectant le scénario
que la société a composé pour chacun d’entre eux. Les acteurs reprennent
eux-aussi les rôles dans lesquels le cinéma les a rangés. Pierre Arditi se
retrouve en bourgeois et Guilaine Londez en femme issue d’un milieu populaire. C’est
la valse des masques et personne ne sait vraiment qui est le plus à
plaindre : les nantis sur leur terrasse qui se balancent des horreurs sur
les trahisons subies ou les serviteurs qui crèvent d’envie de prendre la place
de l’autre.
Ainsi regroupés autour d’une table, tous éprouvent leur
solitude et l’artifice du lien qui les réunit mais aussi cet étrange sentiment
de faire malgré tout partie d’une communauté. Ce n’est pas pour rien qu’on
parle de la grande famille du cinéma. Un film est comme un repas de famille. On
se passe les plats, on se met à table pour partager encore ensemble ce lien ténu
qui brise toute rancœur et révèle notre humanité.
Le fantôme romantique du
frère fauché en pleine jeunesse revient à plusieurs reprises croiser ses
contemporains. Il entend bien qu’on respecte ses dernières volontés. Dandy revenu
du monde des morts qui impose ses exigences aux vivants désarçonnés par tant
d’ubiquité. C’est lui le héros du film. Celui qui ne mourra jamais parce qu’il
est parti dans l’insolente beauté de sa jeunesse.
C’est difficile de se séparer de ce qu’on garde en mémoire
et le cinéma avec toutes les images qui hantent notre imaginaire n’y échappe
pas. Noémie Lvovsky alias Nathalie est embauchée pour aider Anna à finir son
scénario. Scénario qui bute contre le réel en ramenant chaque personnage
toujours à soi. La citation au film Camille
redouble parait évidente. Se redonner une seconde chance avec le cinéma de
revivre ce qu’on n’a pas réussi la première fois. Voilà le pari insensé de ce
film à la folie douce.
A chaque été et à chaque film faire revivre la
communauté qu’on s’est créée si imparfaite soit-elle. Dans Identification d’une femme d’Antonioni, on se souvient d’une scène
de brouillard qui n’est pas sans rappeler la fin du film des Estivants. On court toujours après
quelque chose, son désir, l’enfance qu’on aurait aimé avoir, les traces
fugitives de sa mémoire. Une mélancolie qui n’empêche pas
de rejouer encore sa vie et de repousser on ne sait où les limites de nos êtres
en perpétuel devenir. Jamais une fin n’aura été si enveloppante et légère avec un
banc de brume sur un plateau de tournage, un fantôme et des acteurs le
matin.
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